A Abidjan, le virus de la désinformation plus dangereux que le coronavirus

La potion à base de feuilles de Neem ©Stéphane Tchriffo

Entre infox, infos, supputations et faits avérés, une partie des Africains ont du mal à dénouer le vrai de faux. Florilège de quelques idées reçues sur les remèdes du Covid-19.

° « Voici le médicament contre le coronavirus »

Riviéra Golf, quartier huppé de la commune de Cocody à Abidjan. Trois hommes sont assis à l’ombre de grands arbres au feuillage touffu. Ils semblent passer le temps à faire la causette. Et pourtant, ils sont en train de surveiller l’arbre au pied duquel ils se trouvent : l’arbre de neem. Ces hommes sont des vigiles. Habituellement occupés à veiller sur les biens des personnes qui occupent les habitations alentours, ils ont trouvé le moyen de gagner de l’argent à travers la crise de coronavirus. Leur nouvelle activité : vendeurs de feuilles de Neem.

L’information s’est répandue sur les réseaux sociaux comme une trainée de poudre. La chloroquine, efficace dans le traitement du paludisme en Afrique serait aussi capable de guérir la maladie à coronavirus, selon le Professeur  français Didier Raoult, virologue et infectiologue. Le raccourci a été vite trouvé par les populations d’Afrique subsahariennes  habituées à faire face à la malaria: les décoctions de feuilles de neem guérissent du paludisme, alors ces mêmes décoctions de feuilles de neem peuvent aussi soigner la maladie à coronavirus. Les arbres de neem de la capitale économique ivoirienne ont été ainsi pris d’assaut, décoiffés et même « dépiautés ».

Pendant que nous échangeons avec les vigiles, une jeune fille apparaît. Elle s’appelle Mélissa, elle souhaite acheter des feuilles de neem pour se soigner. « Ma tante en a bu et elle va mieux. Donc moi aussi je suis venue en acheter », explique-t-elle. L’un des vigiles grimpe à l’arbre, haut d’environ 20 mètres. Un autre en bas attend qu’on lui jette les feuilles.

Quand on demande à Mélissa combien lui coûtent ces feuilles, le vigile resté au sol lui crie « c’est un service. Rien à payer ! ». Faux. Melissa devra débourser 500 FCFA (0,75 euro) pour deux branches de neem. Les vigiles savent bien qu’ils ont affaire à un journaliste et ils ne veulent pas que l’on rapporte qu’ils font le commerce de ces feuilles. Melissa jouera le jeu des vigiles et ne répondra pas à la question. Après avoir recueilli plusieurs feuilles, le vigile les brandit devant nous et lance : « voici le médicament contre le coronavirus ! ».

Pourtant, quelques jours plus tard les autorités sanitaires nationales annoncent, au grand dam des adeptes de feuilles de neem, qu’il n’y a pas de chloroquine dans celles-ci. Ils mettent même en garde contre l’usage de cette plante car elle aurait des propriétés anti-inflammatoires, justement contre-indiquées dans le cas de l’infection à coronavirus.

° La solution gingembre, ail et miel

Autre moment, autre décor : le marché de Cocovico à Angré. Dans la rue qui longe celui-ci, les véhicules peinent à se faufiler entre les étals et les installations de fortune des vendeurs de rue. Les divers articles qui occupent le trottoir débordent aussi sur la chaussée.  Dominique entre dans le marché à la recherche de produits particuliers. Elle s’achète d’abord des feuilles de neem, mais s’offre également gingembre, ail, miel et citron.

« C’est un mélange qui élimine la toux et booste le système immunitaire » explique Dominique, 37 ans, pour justifier son achat. « Ce sont des recettes que nous connaissons ici. On sait que le coronavirus affaiblit le système immunitaire et permet aux maladies opportunistes de prendre le dessus. Ces racines et ces produits naturels aident à renforcer les défenses immunitaires« .

Dominique est convaincante et parle avec l’autorité d’une experte en médecine ou en pharmacopée africaine. Pourtant elle est diplômée en management et dirige le département commercial d’une entreprise locale. C’est l’une des particularités de cette crise de Covid-19: l’apparition d’une multitude de nouveaux experts autoproclamés !

° « Les Noirs ne peuvent pas être contaminés par le coronavirus »

Autre idée reçue : les personnes à la peau noire seraient immunisées contre le coronavirus. Les premiers cas confirmés de Covid-19 sont apparus relativement tard le sur continent africain. Cet étonnant constat a donné libre court aux imaginations les plus farfelues. Selon l’une d’elles, les noirs seraient mieux immunisés que les autres populations de la planète.

Conséquence : la menace n’a pas été prise très au sérieux. Les gestes barrières ont été longtemps négligés sur le continent, jusqu’à ce que la contagion éclate en Afrique. Récemment la chaine de télé américaine CNN rapportait que la communauté noire était ravagée par le coronavirus aux États-Unis, jetant ainsi l’effroi sur les populations africaines.

° « Le virus ne supporte pas la chaleur »

Famille Diaha, Cocody Angré.  Les premiers cas de coronavirus sont confirmés à Abidjan. Il est 14 heures. Annabelle, jeune élève de 17ans, en général habituée à éviter les rayons du jour décide de prendre un bain de soleil. Sa mère Aya explique qu’elle s’est interrogée sur l’étrange comportement de sa fille. Réponse de sa fille : « Je sens un début de grippe, donc je me mets au soleil pour tuer le coronavirus aux cas où c’est ça qui me fatigue ». La mère amusée ne peut pas retenir son fou rire. « Annabelle qui t’a appris ça? » a cherché à savoir sa mère, sans que la jeune fille n’arrive à lui donner une réponse convaincante.

C’est là une autre idée reçue sur le coronavirus, abondamment relayée par des soi-disant influenceurs assoiffés de buzz, puis par Donald Trump lui-même !
Les africains ont vite fait de déchanter lorsqu’ils ont découvert que la maladie progressait sans cesse dans toutes les capitales africaines et surtout lorsque les premiers décès ont été enregistrés. Même les Émirats Arabes Unis qui enregistrent des températures ambiantes élevées avaient aussi été frappés par le virus. De qui faire déchanter plus d’un.

Le vrai virus, c’est la désinformation. Heureusement, une vaste campagne de communication initiée par le gouvernement ivoirien avec pour but de protéger les populations contre les infox a été lancée. Les pouvoirs publics ont compris que dans la guerre contre la Covid-19, la désinformation est un poison bien plus dangereux que le coronavirus lui-même.

Stéphane Tchriffo

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